Un conte drôle et impertinent !
Le Yark est un monstre poilu qui mange les enfants sages, mais de nos jours, les enfants sages se font rares et le pauvre Yark a faim ! Où trouver des enfants comestibles ? Le Yark part à la recherche de nourriture et erre de chambre en chambre. Après plusieurs malheureuses rencontres, son chemin croise celui de Madeleine, une gentille petite fille qui prend soin de lui… Comment pourrait-il dès lors la manger ?
Ce livre est génial !
Dès les premières phrases, on est conquis par la prose musicale de Santini.
Parmi tous les types de Monstres qui grouillent sur la terre, l’Homme est l’espèce la plus répandue.
Il en est une autre, cependant, plus rare et moins connue.
C’est le Yark.
Le Yark aime les enfants.
Il adore sentir leurs petits os craquer sous sa dent et sucer leurs yeux moelleux comme des bonbons fondants.
S’ensuit une description du Monstre, de ses goûts et de ses faiblesses :
Mais sous leurs airs féroces, les Monstres dissimulent toujours quelques faiblesses pouvant les mener à leur perte.
King Kong avait le cœur sensible, Dracula redoutait le soleil, le Colosse avait les pieds d’argile… Le Yark, lui, a l’estomac fragile.
Son ventre délicat ne tolère que la chair d’enfants sages, un peu comme les vieux, qui avec l’âge, ne digèrent plus que le potage.
Et puis de plonger dans un portrait impitoyable des enfants modernes dans le chapitre 3 (mon préféré !) :
Hélas, notre époque contraint le Yark au régime. Les temps modernes ne produisent quasiment plus d’enfants comestibles.
De nos jours, les chenapans pullulent sur terre comme des pustules au menton des sorcières. Les cours d’école grouillent d’un petit peuple bête et méchant, portrait craché de leurs parents.
Vous l’aurez compris, « Le Yark » n’est pas qu’un livre pour enfants. Il permet, comme les meilleurs livres pour enfants, une double lecture. Plus large que la simple histoire de monstre qui fait peur, « Le Yark » dépeint des enfants-rois, des peurs et fantasmes enfantins, des émotions ambivalentes… « Le Yark » constitue pour moi un de ces livres intemporels qui a toutes les qualités pour devenir un classique !
Un classique ? Rien que ça ? Ben oui, rien que ça !
Première raison
Il s’inscrit dans la lignée des petites histoires cruelles, immorales et burlesques de ce bon vieux « Crasse Tignasse ». « Der Struwwelpeter », un classique de la littérature allemande qui, soit dit en passant, n’a pas pris une ride !). Ecrit par le Dr. Hoffmann en 1845 (traduit en France en 1860), il est intéressant de noter que cet album constitue un des tout premiers exemples de littérature adressée aux enfants, mêlant texte et images. « Le Yark » et « Crasse-Tignasse » partagent non seulement le ton caustique (et donc d’autant plus truculent), le rythme proche de la poésie, mais aussi le graphisme. Les illustrations en noir et blanc de Gapaillard ne sont en effet pas sans rappeler les images dessinées du Dr Hoffmann, voire les gravures et illustrations de Gustave Doré (même époque qu’Hoffmann).
Plus actuel, on pourrait aussi citer « La triste fin du petit Enfant Huître et autres histoires », écrit et illustré par Tim Burton. Il s’agit d’un recueil de petites histoires ou poèmes au ton tendre et cruel mettant en scène des enfants au destin tragique : un enfant toxique, un autre avec des clous dans les yeux, une fillette-ordures…
Dans ces trois livres, on retrouve donc le même mélange de cruauté, d’enfance et de poésie.
Deuxième raison
Dès le moment où le Yark débarque chez le Père Noël pour lui dérober sa liste d’enfants sages, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à cet autre grand classique de la littérature américaine : « The Night Before Christmas ». Il s’agit d’un poème attribué à Clement Clarke Moore et publié en 1823 qui raconte la nuit de Noël (la version illustrée pop-up et « papier découpé » par Niroot Puttapipat est magnifique !). Outre la musicalité, les deux ouvrages ont ceci en commun : le protagoniste, figure à la fois effrayante et fascinante. D’un côté, le lecteur suit un gros personnage poilu et effrayant, de l’autre un gros personnage barbu et bien intentionné, tous deux voyageant de chambre d’enfant en chambre d’enfant durant la nuit. Certains enfants se réveillent, d’autres guettent leur arrivée, et on sent une certaine appréhension (parfois même, excitation) planer, dans une histoire comme dans l’autre. « The Night Before Christmas » est certes un poème, mais c’est aussi un conte de Noël devenu classique.
Troisième raison
Saviez-vous que Tim Burton, auteur donc de l’Enfant-Huître mentionné plus haut, a également écrit « L’étrange Noël de Monsieur Jack »… dont le titre anglais est « The Nightmare Before Christmas » ? La référence au poème de Moore ne s’arrête pas au titre puisque Burton écrit en effet un pastiche du célèbre conte-poème de Noël écrit 170 ans plus tôt. Il utilise donc un texte classique, le teinte d’un peu de cruauté tout en gardant un certain onirisme et une certaine magie, et en fait un nouveau classique !
Quatrième raison
Pour continuer dans les références, le personnage du Yark n’est pas sans rappeler le Grinch de Dr. Seuss. Mais oui, Dr. Seuss et son « Comment le Grinch a volé Noël » (« How the Grinch Stole Christmas »), publié en 1966, est un autre classique de la littérature américaine pour enfants ! Qui lui aussi ressemble à un poème en rimes et est très « musical » dans le rythme, comme Moore, comme Burton. D’ailleurs, « L’Etrange Noël de Monsieur Jack » a beaucoup de points communs avec le Grinch, notamment la ville où on célèbre Noël/Halloween, le chien avec son nez rouge, Jack et le Grinch…
Références intentionnelles ou fortuites, peu importe, mais elles me confortent dans l’idée que « Le Yark » est un classique en devenir !
Ce livre a l’allure d’un petit roman, mais il pourra être lu aux plus petits qui prendront plaisir à écouter ce conte, bien coincés sous leur couette ! Et puis, vous verrez, le Yark se révèle être presque attachant !
« Le Yark » a remporté plusieurs prix, a été traduit dans une dizaine de langues et a fait l’objet de diverses adaptations théâtrales, tandis qu’une adaptation cinématographique est apparemment en cours (je dis « apparemment » car les rares sources que j’ai trouvées dates de 2013 et 2015). Curieux de voir le teaser?
Ed. Grasset- Jeunesse, 2011. Réédité en 2015. 80 pages. Collection Lecteurs en herbe.
Inoubliable ce Yark ! Je l’ai fait lire à des centaines d’élèves et à chaque fois il fait un tabac !
ça change des mièvreries habituelles! AAAAh, ça fait du bien!
Merci !!! <3