Tout, désormais, se fait à trois. Le petit déjeuner, puis la baignade. Le déjeuner, puis le bridge. Le dîner, puis les derniers verres du soir. Il y a toujours trois plateaux, trois maillots de bain mouillés, trois séries de cartes abandonnées sur la table quand, brusquement et sans explication, la partie s’interrompt. Où qu’ils aillent, Hadley et Ernest sont accompagnés : cette femme se glisse entre eux comme une lame. Cette femme, c’est Fife : la maîtresse de son mari.
C’est le premier paragraphe du livre et, comme le titre, il reflète parfaitement le roman (une biographie-fiction) : Hemingway n’est pas le centre d’attention, ses femmes le sont. Quatre femmes, maîtresses puis épouses, les 4 Mrs Hemingway : Hadley, Fife, Martha et Mary.
L’auteur, Naomi Wood, nous plonge dans le Paris des années folles, où on côtoie « la génération perdue » (Gertrude Stein, Fitzgerald,…) qui donne l’impression de vivre au rythme de jazz, de soirées mondaines et d’alcool. De Paris à la Côte d’Azur, de la Floride des années 30 au Cuba d’après-guerre en passant par l’Idaho ou Chicago, « Mrs Hemingway » nous fait voyager et c’est tellement bien documenté qu’on n’a aucune peine à ressentir l’époque et les endroits.
Wood dresse le portrait d’une époque et du milieu littéraire de cette époque, mais surtout le portrait d’un homme : un des plus grands écrivains de son époque, un homme à femmes, un homme qui cédait sans honte à la passion mais finissait toujours par se lasser, un homme rongé par les idées noires et l’alcool, un homme raconté ici à travers ses quatre épouses.
4 femmes, 4 histoires
Wood divise ce roman en quatre parties, sortes de novellas, donnant la parole à chacune des quatre Mrs Hemingway qui racontent à tour de rôle leur mari, de 1926 à 1961. Chacune, toutes différentes, veut être la dernière et est prête à tous les sacrifices pour faire d’Ernest Hemingway un homme comblé et le mythe littéraire qu’il est devenu. Cette question – jusqu’où peut-on aller par amour ? – est omniprésente tout au long du récit et elle sert la forme-même du roman.
Un collage de fragments
En effet, cette question sous-entend passion, trahisons, tendresse, (in)stabilité, ce qui n’est pas sans rappeler la structure-même du récit : un récit à quatre voix, un collage de fragments qui, juxtaposés , raconte une histoire. Cette structure narrative rappelle donc le courant moderniste (dont Gertrude Stein, citée ci-dessus, ou encore, peut-être mieux connu, Faulkner sont des figures majeures), qui utilise la technique de collage aussi bien dans l’art que la littérature. C’est exactement le genre de détail que j’aime retrouver dans un livre : quand (l’air de rien) le fond et la forme sont complémentaires et qu’on peut relire le tout en recroisant, re-assemblant différemment les morceaux pour combler les choses qui nous avaient peut-être échappées à la première lecture. Je m’emballe, mais cette époque et ici cette galerie de personnages et de voix sont vraiment enivrants, je n’ai pas pu m’arrêter de tourner les pages !
A lire, vraiment !
Editions La Table Ronde, Coll. Quai Voltaire, 2017 (version originale en 2014). 280 pages
Naomi Wood est une auteure britannique née en 1983. « Mrs Hemingway » est son deuxième roman, son troisième est prévu pour 2019. Elle enseigne aussi l’écriture à l’Université d’East Anglia.